Je me sens privilégiée d’intervenir à cette grande conférence internationale autour du thème ‘’Femmes et édification interreligieuse d’une culture de la rencontre’’.
Il m’a été précisé de présenter ici ‘’ un récit d’une culture de la rencontre’’ et mon exposé est un partage d’une expérience concrète vécue dans notre mission en tant que Filles de la Sagesse Montfortaine auprès des femmes à Kisangani, dans la Province de Tshopo en R.D.Congo. Il sera abordé selon les trois points suivants : Sources d’inspiration de cette mission, le cheminement de ces femmes et les convictions personnelles issues de cette expérience.
En tant que religieuse vivant de l’esprit même de ma Congrégation « être avec ceux et celles que le monde rejette… » en vue de les aider à devenir artisans/ artisanes de leur propre destin », nous sommes continuellement devant un défi de nous approcher de tous et toutes, sans exclusion.
« Pour que tous aient la vie », « Elargir l’espace de ta tente », « Aimez sans frontière » sont successivement les Orientations que nos Chapitres Généraux de ces douze dernières années ont pris comme thème et qui nous ont pétries, nourries et ont orienté notre mission. Tous ces Actes de Chapitres ont éveillé notre sensibilité aux différentes situations de misère autour de nous et nous ont donné l’élan de la rencontre de l’autre.
Sœur Virginie BITSHANDA BOFONGA
Dans un contexte social difficile de notre pays, et dans notre milieu de Kisangani, les murs de la division et de la méfiance se dressent de plus en plus entre Provinces, tribus, religions, ethnies et peuples. Parmi les facteurs qui renforcent la division en RD Congo, il y a les croyances culturelles, l’ignorance, les systèmes injustes qui se mettent en place pour exploiter les plus faibles, les idéologies politiques… dont les pauvres sont victimes et en particulier, les femmes. Or, généralement, la femme congolaise au foyer est « le pilier » de sa famille, et à l’Eglise, sa contribution pour son édification n’est pas négligeable. Il suffit de voir leur présence dans les différentes églises pour réaliser cela.
Cependant, dans un contexte social difficile comme celui de notre pays, une multitude des femmes se trouvent dans des situations inhumaines et tombent dans « le piège » des actes et/ou comportement qui renforcent la méfiance, par exemples la violence, le vol, la mendicité, la prostitution, … et elles y restent parce qu’elles ne voient pas d’autres choix ou d’autres alternatives de survie.
« Ayant été formée à l’Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal (IFHIM)/ au Canada, j’ai été initiée entre autre, à aider les personnes à reconnaître leurs valeurs, leurs capacités, leurs talents et à reconnaître également leurs limites. J’ai appris à aider les personnes à se traiter comme des personnes et non comme des objets, à dépasser les murs de l’indifférence pour s’ouvrir à d’autres tel qu’elles sont. »
C’est de là que j’ai appris des moyens pour dépasser en moi-même l’indifférence et m’ouvrir réellement à l’autre. C’est la culture de la rencontre. Je me vois être engagée avec d’autres de mes consœurs, à privilégier cette ‘’culture de la rencontre’’ à travers une mission auprès d’un groupe de femmes appelées les « Maman Hekima » que je traduis littéralement par « les femmes sages ».
LES ‘’ MAMANS HEKIMA’’
Un groupe de femmes qui se reconnaissent par l’appellation « Mamans Hekima », initié en 2013 par moi-même Sœur Virginie BITSHANDA BOFONGA. Ce groupe est aujourd’hui une œuvre des Filles de la Sagesse.
L’objectif était de tenter d’aider ces femmes à leur auto-prise en charge intégrale dans un contexte social difficile à Kisangani en cette époque (et qui devient pire aujourd’hui). Touchée par des réalités inhumaines que vivent la plupart des femmes chez nous, je voulais chercher avec elles, comment elles pourraient se réhabiliter dans leur dignité de femmes et de mères au foyer.
CHEMINEMENT DES MAMANS HEKIMA
Tout au début de ce groupe, nous avons approché et invité un petit groupe de femmes sans distinction de tribus et de confessions religieuses. Parmi elles, il y avait des protestantes, des catholiques, des musulmanes, des témoins de Jéhovah, des femmes venant des églises de réveil, …
Les temps de partage et de réflexion leur ont permis de prendre conscience des réalités des unes et des autres : ces femmes vivaient dans la méfiance, l’indifférence, la peur, les préjugés … Les unes les autres ont commencé petit à petit à réaliser leur défi commun : la situation difficile qu’elles connaissent. Ensuite, nous les avons invitées aussi à partager non seulement leur difficulté mais aussi ce dont chacune est capable de faire pour se sortir de leurs situations (capacités, talents, aptitudes, qualités, …). Progressivement, elles ont cultivé l’intérêt de la connaissance et de l’écoute mutuelles et sont arrivées à se faire confiance, à exprimer les valeurs qu’elles découvraient chez l’autre. Dans le respect de la différence elles sont arrivées à fonctionner en sous-groupes selon les affinités des capacités et des activités.
Des sous-groupes se sont formés autour des activités des champs à travers la culture du manioc, du riz, d’arachides… D’autres se sont regroupées pour des petites activités de commerce. D’autres fabriquaient les pains, les chikwangues, les beignets, …
Ces femmes ont déployé leurs multiples capacités et compétences. Elles ont développé des initiatives de rencontres productives (apprentissage d’activités génératrices de revenus les unes par les autres, leur apportant un soutien financier et qui a permis l’entraide et la solidarité entre elles dans les événements heureux (les célébrations du mariage, la graduation des enfants qui finissent les études…) ou dans les événements malheureux comme maladie, deuil…
Au départ, Les Maman Hekima étaient 12 femmes. Leurs petites activités et aussi leur proximité au-delà de leur différence commençaient à attirer plusieurs autres femmes. Aujourd’hui, elles sont une centaine de femmes et d’autres sollicitent d’être accompagnées de la même manière.
De cheminement des Mamans Hekima, nous pouvons déceler le développement d’une réelle ‘’culture de la rencontre’’ qui a permis que ces femmes arrivent à se mettre debout et à prendre en main leur propre destin. L’importance accordée au respect mutuel de la différences, l’écoute attentive de l’autre, la considération mutuelle des valeurs, des talents, des capacités, … de chacune a favorisé progressivement la confiance mutuelle qui leur a permis « d’abattre » les murs de séparation entre elles en vue de construire des « ponts de paix » qui les aident à travailler ensemble et à s’entraider pour leur auto-prise en charge. Cela montre clairement le développement « d’une culture de la rencontre », chez ces femmes.
Pour clore ce partage, je reste convaincue que, sans « une culture de la rencontre » notre projet d’aide à ces femmes n’aurait pas porté les fruits dont nous sommes témoins. Je crois que ce chemin d’ « une culture de la rencontre » reste un chemin urgent dont le monde a besoin aujourd’hui.
Je suis bien reconnaissante (ma Congrégation l’est aussi) pour nous avoir honoré en m’invitant à prendre la parole dans cette grande Conférence Internationale organisée par le Dicastère pour le dialogue interreligieux. Nous vous remercions.
Sœur Virginie BITSHANDA BOFONGA, fdls.
