Dans une période de profonde transformation pour la Congrégation, alors qu’elles initiaient leur essor international, les Filles de la Sagesse furent confrontées à un défi majeur qui remit en question leur présence en France : les lois anticléricales de la Troisième République. Ces mesures, visant à réduire l’influence de l’Église catholique, culminèrent avec la loi de 1901 et les décrets d’expulsion qui suivirent, forçant la Congrégation à chercher asile hors de France. Ce contexte législatif contraignant marqua profondément le paysage religieux national et propulsa les Filles de la Sagesse vers de nouveaux horizons, les poussant à réimaginer leur vocation au-delà des frontières françaises.
La loi de 1901 sur les associations en France a établi le droit de s’associer sans autorisation préalable, offrant une liberté considérable aux citoyens pour former des associations, à l’exception notable des congrégations religieuses qui nécessitaient une autorisation spécifique. Cette législation, en intégrant une clause permettant la fermeture des établissements congréganistes par simple décret ministériel, a jeté les bases pour une série d’actions arbitraires contre les communautés religieuses.
Emblématique de cette vague répressive, le « petit père Combes », fervent anticlérical, initia une campagne de fermeture massive d’écoles tenues par des congrégations, poussant les Filles de la Sagesse, parmi d’autres, à l’exil. Cette période fut caractérisée par une série de mesures légales visant à légitimer les expulsions et les saisies, accentuant ainsi la pression sur la vie religieuse en France.
Les sœurs durent ainsi abandonner leurs établissements, quitter les communautés qu’elles avaient servies, souvent dans la douleur et la précipitation, pour se diriger vers l’inconnu. Le départ fut marqué par des scènes déchirantes, des adieux à des enfants et des familles qu’elles avaient aidés, et le défi de laisser derrière elles tout ce qu’elles connaissaient et chérissaient.
Face à ces expulsions, les Filles de la Sagesse, ainsi que les communautés locales, organisèrent des formes de résistance variées, allant de pétitions à des manifestations publiques. Dans certains cas, cette résistance prit une tournure plus concrète, avec des écoles barricadées et protégées par des gardes du corps, témoignant de l’exaspération populaire face à l’acharnement gouvernemental. Ces actes de solidarité démontrent l’union des communautés locales avec les sœurs, leur rébellion contre les directives étatiques, et leur engagement commun pour la préservation de l’éducation et de la liberté de culte.
L’exil incita les Filles de la Sagesse à s’établir dans une multitude de pays, en sélectionnant minutieusement leurs nouvelles demeures selon les possibilités d’accueil et les besoins de leur mission spirituelle et éducative. Elles commencèrent par renforcer leur présence en Belgique, en Angleterre, aux Pays-Bas, et en Italie, visant à consolider les relations culturelles et linguistiques déjà nouées avec leur patrie originelle. Plus loin, le Canada, la Colombie puis les États-Unis offraient un vaste champ d’action missionnaire dans des sociétés en pleine croissance.
En 1904, leur périple les mena jusqu’au Shiré, situé dans l’actuel sud du Malawi, inaugurant ainsi leur première incursion sur le continent africain. Embarquées à Marseille et guidées par la Chère Mère Marie-Patricie, elles ont rejoint les Montfortains, déjà établis depuis 1901, pour contribuer à l’éducation et à l’évangélisation.
L’accueil ne fut pas toujours chaleureux. Les sœurs durent souvent faire face à des réticences locales, des barrières linguistiques, et le défi de se réinventer dans des contextes culturels et sociaux étrangers. Elles durent apprendre de nouvelles langues, obtenir des autorisations pour enseigner, et s’adapter à des modes de vie différents, tout en conservant leur identité et leur mission.
En Belgique, elles rencontrèrent une société déjà saturée de réfugiés religieux, ce qui compliqua leur installation. Les sœurs durent naviguer entre soutien et méfiance, s’efforçant de ne pas entrer en concurrence avec les congrégations locales. Leur costume religieux, symbole de leur identité, attirait curiosité et parfois moquerie, témoignant des tensions entre tradition et modernité qu’elles incarnaient.
Leur arrivée en Colombie ne fut pas non plus sans difficultés. Le trajet depuis La Dorada impliqua trois jours de voyage à dos de mule, une expérience inédite pour ces religieuses européennes. Elles durent faire face à des chutes, s’accrocher dans les arbres, et traverser des rivières, le tout sous la pluie. L’arrivée fut aussi une épreuve pour leurs habits traditionnels, qui souffrirent des conditions du voyage.
Malgré ces épreuves, les Filles de la Sagesse réussirent à établir des fondations solides dans leurs pays d’accueil en répondant aux besoins locaux par l’ouverture d’écoles, orphelinats et centres de soin, favorisant l’éducation et le bien-être. Leur résilience et adaptabilité ont non seulement assuré leur survie mais aussi leur épanouissement, reflétant leur dévouement aux valeurs de Sagesse et charité.
Dans le même esprit d’adaptabilité, confrontées aux restrictions légales en France, elles ont astucieusement transformé certains établissements en structures laïques éducatives et sociales, maintenant ainsi leur présence et leurs engagements envers les communautés locales. L’appui de ces dernières a été essentiel à la pérennité de leur œuvre.
Cette période, marquée par des défis, a également été le témoin d’une croissance remarquable. Elle révéla la capacité de la Congrégation à transformer une épreuve en opportunité, permettant aux Filles de la Sagesse d’accélérer leur engagement à l’international, déjà amorcé vers la fin du XIXe siècle. Leur expansion a solidifié leur statut de force spirituelle et éducative à l’échelle mondiale, marquant une ère de développement sans précédent dans l’histoire de la Congrégation.
Ce récit de l’expansion internationale des Filles de la Sagesse s’appuie sur les recherches approfondies de M. Lepers, dont les découvertes sont consignées dans son ouvrage ‘Dieu écrit droit, Tome 1, Lignes brisées 1900-1914’ et sur des informations issues de la page Wikipedia sur l’expulsion des congrégations (1902-1903)